et aussi le 17 juillet 2007 dans libération
Serra fait son Moma
Critique Le musée
new-yorkais accueille une rétrospective de quarante ans de créations
de Richard Serra. Ses sculptures d'acier monumentales jouent sur
l'espace et le corps. Un prélude à Monumenta, à Paris en 2008.
C'est une rétrospective de quarante ans de
création qui vaut son pesant d'acier. Juste vingt-sept oeuvres, plus de 1
000 tonnes. Le Moma accueille le sculpteur Richard Serra en grand, sur
trois niveaux : 6e, 2e et jardin. Le musée ne s'est pas contenté de
faire de la place, il s'est remodelé dans l'attente de l'arrivée des
mastodontes d'acier industriel. «L'ancien directeur, Kirk
Varnedoe, m'avait proposé une exposition. Cela m'apparaissait impossible
vu la charge de mes oeuvres. La contrainte a été intégrée dans le
projet architectural», explique l'artiste qui vit à New York.
Inauguré en 2004, le nouveau Moma a ainsi été conçu avec un 2e étage
assez solide et ouvert, reposant sur l'ensemble de la structure, pour
permettre la présence des trois derniers opus de l'artiste américan.
Ocre.
Comme à son habitude, le sculpteur, né en 1939, s'est confronté à
l'espace imparti comme à un nouveau défi. Au 2e étage, le volume emplit
presque tout l'espace, en hauteur et largeur. L'ocre de l'acier, traité
pour résister aux temps, tranche sur l'immaculé des murs. Le visiteur se
voit happé par Band, long ruban d'acier (3,9 m x 21,9 m). Torqued Torus Inversion (3,9 m x 17,9 m) offre une ouverture par où s'immiscer, attire en son milieu et incite à regarder vers le ciel. Sequence
(3,9 m x 19,9 m), qui réunit des caractéristiques des deux autres,
apparaît comme la plus ambitieuse. Le visiteur pénètre dans un couloir
sinueux, suffisamment large pour permettre le passage, aux parois
suffisamment hautes pour suggérer l'enveloppement. Ce chemin de ronde
sinusoïdal finit ou commence, qu'importe le sens, dans une salle
circulaire. Les enfants y organisent spontanément des cache-cache. Là
réside la subtilité paradoxale de Serra : la sculpture monumentale n'est
pas l'objet. Elle s'efface au profit du corps qui circule, peau contre
acier. Le visiteur en retient une expérience, une étreinte.
Ciel. Dans le jardin du Moma sont exposées deux sculptures plus anciennes de Serra, Torqued Ellipse IV (1998) et Intersection II
(1992-1993). L'impression est plus extérieure, dans cet espace à ciel
ouvert où se superposent marbre blanc de la dalle, feuillages et haut
des buildings de Manhattan. Au 6e étage, les expérimentations de la fin
des années 60. Le jeune artiste testait déjà l'acier mais aussi la fibre
de verre, le caoutchouc, les néons et le bois. Un de ses challenges
consistait à assembler des plaques jouant sur le miracle physique de la
gravitation, de la pression. Son échelle a évolué vers le monumental. Il
aime à parler du Japon, où il a été frappé par la différence
d'appréhension des distances, la proximité des gens entre eux, la façon
dont l'espace joue avec le temps.
Désormais, Richard Serra jongle
avec les commandes, principalement, publiques. Cinq villes de la côte
ouest des Etats-Unis ont accueilli ses sculptures. Il vise Monumenta, la
manifestation d'art contemporain démarrée cette année sous la verrière
du Grand Palais. Ce sera lui l'hôte de cette nef à sa mesure en mai 2008
et il complote une Promenade qu'il désire grandiose. Il espère aussi que Clara Clara,
installée aux Tuileries lors de son exposition à Beaubourg en 1983,
replacée dans un square parisien puis enlevée, ressortira. Son art ne
vit pas sans les corps et il se repaît de ce 2e étage du Moma,
herculéen. Pour lui, mais aussi tous les artistes qui lui succéderont. «Maintenant, la sculpture peut avoir une position centrale, comme la peinture au siècle dernier.»